La galerie d’art de Woollahra se met à l’heure japonaise avec la présence de Damien Drew qui y expose son travail photographique documentaire. Bercée par la mer des Philippines, Shikoku est l’une des quatre grandes îles de l’archipel japonais, avec une population sensiblement inférieure à celle de Sydney (près de 4.500.000 habitants). Sous le regard attendri du photographe, elle retrouve de sa superbe dans des clichés épurés en noir et blanc qui font la part belle aux vestiges de l’œuvre de l’homo faber.
Par-delà le Silence de Shikoku
Selon Bill Brandt (1904-1983), photojournaliste germano-britannique, « Le travail du photographe consiste, en partie, à voir les choses plus intensément que la plupart des gens. Il doit avoir et garder en lui la réceptivité de l’enfant qui regarde le monde pour la première fois, ou celle du voyageur qui découvre une contrée exotique…». Architecte de formation, Damien Drew a parcouru le Japon pour la première fois en 2006, époque à laquelle, pendant près de six semaines, il a pu apprécier cette contrée d’une altérité si radicale. Cette initiation vit le jour par la grâce d’une rencontre fortuite que le photographe fit avec un Japonais lors d’un voyage en Thaïlande. S’en sont suivis quelques séjours à répétition au Pays du Soleil Levant jusqu’en 2019, date à laquelle il mit en branle son projet avec un appareil photographique numérique Fuji de moyen format.
Le noir et blanc donnent un relief particulier aux choses et aident à les voir plus intensément. Pour l’artiste, le contraste bicolore et l’elision de la quadrichromie ôtent « toute distraction qui pourrait entraver la trame narrative et limitent notre champ de vision aux formes, textures, et tonalités inhérentes aux artefacts, immeubles et paysages. Une note de couleur criarde, ou qui n’est pas à sa place, va attirer le regard du spectateur tout en l’éloignant du récit central. Le noir et blanc introduisent une sérénité, une atemporalité, et — en définitive — un silence que la quadrichromie viendrait troubler ».
Ces tirages dénués de personnages satisfont à l’exigence de présenter des facettes de Shikoku avec la plus grande clarté, tout en procurant une jouissance esthétique qui s’appareille autour d’une réflexion sociologique des mouvements de population au Japon et des dynamiques migratoires entre la ville et la campagne.
Haikyo est le terme utilisé pour évoquer ces paysages urbains en ruine, ces bâtisses désaffectées et ces pierres envahies par la végétation que les Japonais se plaisent à visiter selon un protocole très stricte. Damien Drew est porté par l’ambition : « de ne pas laisser ces images sombrer dans un voyeurisme de ruine (ruin porn) tel qu’il est souvent pratiqué en photographie au sein de la sous-culture de l’exploration urbaine ». Il précise que son travail « est une invite à contempler ces environnements dans leurs états transitoires, à prendre acte de l’impermanence en toute chose, y compris celle de nos vies éphémères, et d’honorer tout ce qui survit à l’injure des ans ».
Drew nous revient avec des clichés d’un archipel qui se donne à voir en creux, un temps de ce qui fut, un temps qui n’est plus, mais qui tend vers une autre esthétique, celle d’une poétique du délabrement, de l’effondrement, de la patine du temps qui inscrit son empreinte sur la matérialité de la vie. Cette esthétique japonaise porte un nom: le wabi-sabi. Wabi, à savoir la simplicité et sabi, ou l’usure naturelle des choses à l’épreuve du temps. À en juger quelques concepts linguistiques et philosophiques tels wabi-sabi, nagori, ou natsukashii, les Japonais sont en affinité avec la nostalgie, une émotion qu’ils accueillent bien volontiers dans leur vie.
L’exposition intitulée Shikoku no Seijaku (Shikoku Silence) est visible du 17 juillet au 11 août 2024 à la galerie d’art de Woollahra, sise à 548 New South Head Road, Double Bay. Jean-François Vernay organise dans cette même galerie une table ronde interdisciplinaire le 21 août, dès 18 heures, sur le thème des pratiques artistiques face aux contingences de la santé. Entrée libre. Cet événement sera suivi d’un cocktail et d’une séance de dédicaces.
Savoir plus: https://www.woollahragallery.com.au/Home
Jean-François Vernay.
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