La nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre par Emmanuel Macron place l’extrême droite française dans la position de « faiseuse de rois » et renforce son pouvoir sur un gouvernement qu’elle tient désormais dans sa main, estiment des analystes.
L’arrivée jeudi à Matignon de cet homme de droite de 73 ans, plusieurs fois ministre, par ailleurs ancien négociateur de l’UE pour le Brexit et ex-commissaire européen, a permis de mettre un terme à 60 jours de suspense et de frustration pour l’opinion publique, depuis que les législatives de juillet ont rendu leur verdict.
« C’est un homme qui n’a jamais eu d’outrance dans la façon dont il a parlé du Rassemblement national (RN, extrême droite), qui n’a jamais mis le RN au ban, c’est un homme de discussion », a souligné la patronne française de l’extrême droite, Marine Le Pen.
Décidées par Emmanuel Macron, qui avait dissous l’Assemblée nationale après la déroute de son camp aux européennes de juin, où l’extrême droite était arrivée en tête, les législatives ont débouché sur une Assemblée nationale fragmentée en trois blocs : gauche, centre droit et extrême droite.
Première force à l’Assemblée nationale, le Nouveau front populaire (NFP), union des partis de gauche allant du social-démocrate parti socialiste à la gauche radicale de la France insoumise, a donc réclamé tout l’été la nomination d’un Premier ministre de son choix, mais s’est heurté à un refus de M. Macron.
Le chef de l’Etat, après avoir décrété une trêve politique le temps des Jeux olympiques de Paris, a multiplié les tractations pour trouver un Premier ministre qui ne succomberait pas immédiatement à une motion de censure, et qui ne détricoterait ses réformes, notamment celle des retraites, à laquelle la gauche était hostile.
– « Quitus » du RN –
Dans ce contexte, le Rassemblement national (RN) a « donné une forme de quitus » à la nomination de Michel Barnier à Matignon, a dénoncé jeudi l’ex-président socialiste redevenu député François Hollande.
« Le front républicain a eu lieu pour écarter l’extrême droite, et là c’est l’extrême droite qui donne, d’une certaine façon, à M. Macron la possibilité de nommer un Premier ministre de son choix », a-t-il déploré.
La dirigeante du RN Marine Le Pen avait auparavant torpillé la nomination d’un autre candidat de droite, l’ex-ministre Xavier Bertrand, son adversaire politique historique dans le nord de la France, en le menaçant de censure immédiate.
Concernant Michel Barnier, qui en 2021 prônait un « moratoire » de 3 à 5 ans sur l’immigration, l’extrême droite a indiqué jeudi qu’elle jugerait « sur pièces » son discours de politique générale, avant de décider d’une éventuelle censure de son gouvernement.
« Dans un parlement divisé en trois, le camp centriste de Macron a choisi de faire de l’extrême droite de Le Pen le faiseur de rois », observe sur X Rym Momtaz, chercheuse de l’Institut international pour les études stratégiques. Et ce au détriment de la coalition de gauche, « parce que l’extrême gauche de LFI était jugée plus toxique que l’extrême droite », juge-t-elle.
La gauche ayant d’ores et déjà annoncé qu’elle voterait la censure du gouvernement de Michel Barnier – qui s’était opposé à la dépénalisation de l’homosexualité en 1981 -, le futur exécutif ne pourra donc se maintenir au pouvoir que si l’extrême droite ne se joint pas à elle.
– « Arbitre » ou « censeur » –
« De fait, le futur gouvernement se trouvera placé sous la surveillance d’un RN revenu dans le jeu politique, en position d’arbitre ou de censeur », pointait vendredi le quotidien Le Monde, dans un édito intitulé : « Michel Barnier, un choix pour Matignon qui ne referme pas la crise politique ».
« Si l’on additionne les députés Les Républicains et les députés du bloc central, il n’y a pas une majorité absolue, traduit le sondeur Frédéric Dabi (Ifop). Si le RN et le NFP veulent faire tomber le gouvernement, ils sont largement majoritaires ».
Interrogé peu avant la nomination de Michel Barnier, un député RN expliquait à l’AFP que son camp se devait de se distinguer dans le « chaos » politique actuel : « Les gens ne nous pardonneraient pas de tout bloquer » à l’Assemblée, estimait-il.
« On doit agir de manière intelligente tout en n’ayant pas l’air d’être la béquille » des macronistes, concluait-il, n’excluant pas une censure dans un deuxième temps.
Une menace qui renforce toujours plus le RN et sa dirigeante Marine Le Pen. Comme le résume l’analyste Mujtaba Rahman: « Vu l’implacable opposition au nouveau gouvernement de l’alliance de gauche, elle a le pouvoir de faire tomber le nouveau gouvernement quand elle le voudra ».
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